Donc bonne année à tous.
Je souhaite à tous et toutes une bonne santé, une année pleine de bonheur et de surprises agréables.
Aujoud'hui, je vais évoquer un très grand Monsieur du blues électrique, Albert Collins.
Né le 03 octobre 1932 à Leona au Texas, il est décédé Las Vegas le 24 novembre 1993 des suites d'un cancer.
Ce grand (au propre et au figuré) guitariste jouait en open tuning de rém (pour les connaisseurs) et positionnait son capodastre entre la case 5
et 9 de sa télécaster.
De fait il n'utilisait qu'une petite partie du manche, difficile pourtant de trouver son jeu limité !
Il portait sa guitare avec la sangle en bandoulière sur l'épaule droite et jouait sans médiator utilisant ses doigts pour travailler son ''Ice
Picking''.
Il proposait un blues teinté de soul et de funk parsemé de nombreux instrumentaux car il se considérait comme un guitariste plus qu'un chanteur
(après avoir débuté au piano).
Accompagné de cuivres et d'un orgue hammond dont il adorait les sonorités, il adorait descendre dans la salle avec un jack de 30m et il lui
arrivait même de sortir de la salle pour faire le bœuf avec un passant dans la rue au grand malheur de ses musiciens qui devaient faire tourner la machine pendant ce temps.
On le voit même quitter une salle de concert (Biddy Mulligan’s à Chicago) tout en continuant de jouer, monter à bord d’un autobus de la ville qui
fait un arrêt en face du club, s’asseoir pour exécuter un petit solo. Le chauffeur, époustouflé, immobilise son bus le temps que Collins finisse cet impromptu… et regagne la scène.
Un autre tantôt, toujours en jouant un solo hypnotiseur, il emprunte un corridor et disparaît. Mais on l’entend encore. Il revient sur scène et,
quelques minutes plus tard, un livreur arrive avec une grosse pizza. Grâce à un passage adjacent, il avait rejoint une pizzeria et passé sa commande, tout en jouant, avant de rejoindre son
band pour finir la chanson. C’était au Antone’s Austin Home of the Blues, au Texas.
http://exruefrontenac.com/spectacles/blues/22315-blues-albert-collins
Ici avec Duke Robillard (le complice d'Al basile entre autres) et Debbie Davies dont il sera question un peu plus loin.
Albert fait encore partie, presque vingt ans après son décès, des musiciens exceptionnels nantis
d'une personnalité forte, dont on reconnait immédiatement la patte dès les premières notes. A cet effet, Gary Moore à qui un journaliste demandait s'il n'était pas trop difficile, pour un
guitariste comme lui, de jouer avec un guitariste de Blues à la technique limitée, répondit sèchement à peu près dans ces termes : "La technique n'a strictement rien à voir ! Toute la
technique du monde ne m'aiderait pas à atteindre le feeling que peut dégager un artiste tel que Collins. On peut acquérir de la technique, jouer très vite, mais ce n'est pas ce qui permet
d'acquérir le feeling. (.../...) Comment peut-on penser de telles choses ?"
C'est après avoir vu Gatemouth jouer sur une Fender Esquire qu'il adoptera ce modèle, auquel il
rajouta un Humbucker en position manche (L'Esquire est une Telecaster avec un seul micro, simple mais puissant, placé en position chevalet). A cette époque, très peu de bluesmen
utilisaient ces modèles généralement assimilés à la Country.
Vous pouvez vous la procurer ici (attention çà douille!) link
Le diapason étant raccourci par le capodastre, les notes perdent en sustain, au profit d'un son
plus sec et claquant. Le style est nerveux et cinglant, avec une puissance sous-jacente. Un sustain travaillé aux doigts, en triturant avec force et vivacité ses cordes (bend, vibrato). D'où un
jeu inimitable donnant une impression de puissance naturelle (pas d'autre effet qu'un peu de réverbe de l'ampli) et de vitalité, qui font penser à un diable coquin sorti de sa
boîte. Collins avait fait remplacer le micro manche par un Humbucker pour avoir plus de puissance, et réduire les fréquences parasites. La voix n'est pas en reste. S'il n'est pas à
proprement parler un de ces fameux blues-shouters (il a d'ailleurs longtemps hésité à chanter), si son registre est certes un peu limité, la force, la conviction et la sincérité qu'il met dans
son chant profond, grave, légèrement éraillé et chaleureux, permettent de séduire aisément l'auditeur le plus pointilleux.
http://ledeblocnot.blogspot.com/2011/11/albert-collins-collins-mix-1993-by.html
Albert faisait partie aussi de ces ''passeurs'' du blues qui n'étaient jamais avares de conseils ou de coups
de pouce pour la jeune génération.
Voici quelques témoignages extraits de l'ouvrage ''Children of the blues'' de Art Tipaldi (en anglais).
Tout d'abord Ronnie Baker Brooks, fils de
Lonnie Brooks et très bon bluesman lui-même : ''Je me souviens d'Albert comme d'un membre de la famille.Après mon père, il est sans doure le seul autre gars qui m'aie vraiment, vraiment
touché. D'autres musiciens m'ont impressionné, mais Albert m'a donné cette étincelle qui m'a mené un cran plus haut. Mon père m'avait formé et donné l'envie, Albert m'a donné la confiance en
moi.
Ronnie a sa propre histoire de headcuttin' avec Albert (les headcutters, les coupeurs de tête, c'était à
l'origine l'équipe de Muddy Waters qui se produisait dans les clubs de Chicago comme invités et qui prenaient ensuite le contrat avec le club de leur hôte car ils étaient meilleurs, le terme
est resté pour des joutes entre musiciens).
Il avait toujours voulu faire le bœuf avec Albert mais n'en avait jamais eu le courage. Un jour, invité par le
pianiste il joue aux dés backstage avec toute l'équipe, d'abord pour des médiators puis pour de l'argent et pique ainsi pas mal d'oseille à Albert ;
A la fin du show Albert l'invite sur scène pendant qu'il joue son célèbre instrumental et lui dit, vas-y
frèrot, envoie ton solo. Ronnie raconte qu'il donne tout ce qu'il a puis Albert arrive, joue une seule note (mais quelle note) et le cloue au pilori comme un guitariste à deux balles qu'il
devenait pour tout le monde. Ronnie le regarde et voit dans ses yeux ''Je t'ai eu !''
Après le concert Albert vient le voir et lui dit ''Tu comprends, petit, quelqu'un devait te remettre à ta
place, tu m'avais piqué tout mon fric !''.
Sherman Robertson ''Quand j'avais 12 ans
Albert jouait à deux pâtés de maison de chez moi, un club appelé Walter's Lounge. J'y allais en vélo le dimanche et je collais mon oreille contre les murs pour l'écouter. Il avait déjà cette
télécaster qui sonnait comme elle a toujours sonné. Il m'a laissé taper le bœuf quand j'avais 13 ans.
Albert avait une façon bien à lui de partager la scène ; Il vous invitait, vous laissait jouer tout votre
solo puis revenait devant et vous désintégrait en quelques notes !
Sa fameuse phrase ''take your time, son'' (prends ton temps fiston) était vraiment un grand conseil et je ne
me suis mis à bien jouer que quand j'ai su le mettre en pratique. Quand j'ai commencé à jouer, la vitesse était le truc, tout le monde voulait jouer à fond les manettes. Puis j'ai entendu
''take your time son'' ; ce qu'il essayait de dire c'était prends ton temps sinon tu vas vite brûler. Cela prend des années pour trouver les bonnes notes. Il m'a fallu plus de 15 ans pour
comprendre qu'il n'en fallait que deux ou trois mais placées au bon moment.
Jimmie Vaughan : ''Je me souviens de
son honnêteté dans son jeu. Il était un gars adorable au civil. Mais sur scène, il pouvait te massacrer sans que tu n'aies la moindre chance. Albert t'apprenait par l'exemple. Il te laissait
t'exprimer, mais quand il attaquait son solo c'en était fini de toi. Il n'y avait rien à faire à part sourire niaisement.
Debbie Davis : Debbie a tenu pendant trois ans la guitare rythmique au sein du groupe d'Albert avant de faire carrière en
solo..
''Il était mon mentor mais aussi ma source constante d'inspiration. Je lui montrais toujours mes nouveaux
riffs ou mes nouvelles chansons ; albert est né dans le sud avant le mouvement pour les droits civiques ; il a grandi sans argent et sans famille qui puisse lui payer un instrument ou
des leçons. Il a bossé très longtemps la journée pour être musicien le soir ; quand il a pu vivre de la musique, il l'a vraiment apprécié à sa juste valeur et en était reconnaissant. Cette
gratitude transparaissait dans la chaleur de ses relations avec les autres.
Je n'avais jamais jamais joué dans un tel groupe avant. C'était énorme ! Il y avait tant d'énergie !
J'ai aussi observé comment Albert tenait le coup même quand la route devenait vraiment éreintante et dure, quoi qu'il en coûtât il trouvait toujours l'énergie pour le concert. Il sortait çà de
ses tripes chaque soir. C'est ce qui m'a le plus frappé en travaillant avec lui, cette capacité à puiser tout au fond de lui-même et sortir au bon moment cette incroyable énergie.
Coco Montoya : ''Albert fut vraiment comme un père. Je dis souvent : j'ai eu deux pères et je suis béni pour çà. Les cadeaux qu'ils m'a offert
sont l'âme, la compassion, la confiance en moi-même, la foi en la musique, et la persévérance. Je l'ai vu être fort dans l'adversité et je l'ai vu faible aussi''.
Sa première rencontre avec Albert remontait à 1971 quand Coco était allé voir le Buddy Miles Express au
Whiskey'a-Gogo. Collins était dans le public et offrit à Montoya de l'emmener en coulisses pour rencontre les musiciens. Après le spectacle il est allé chez Albert, ils ont bu quelques bières,
joué de la guitare aux dominos et parlé jusqu'à 6 heures du matin.
Lors de leur rencontre suivante Coco qui était alors batteur avait prêté sa batterie au groupe d'Albert et
était devenu furieux en s'apercevant lors de son concert suivant qu'elle avait été installée différemment et pas remise en place. Au courant de l'histoire Albert avait appelé pour s'excuser et
avait été si gentil que Coco leur avait laissé utiliser la batterie à nouveau.
Il était même allé les voir jouer et Collins l'avait invité à jouer avec eux.
Quelques mois plus tard Collins aura besoin d'un batteur, il se souviendra de Coco et lui proposera la place
que ce dernier acceptera.
Il raconte que des années plus tard quand il tenait alors la guitare rythmique il lui suffisait de tourner le
dos un instant et quand il faisait volte face il y avait un gars invité sur scène et Albert qui le regardait en lui disant '' je lui ai dit qu'il le pouvait''. Albert ne disait jamais
non.
''C'était vraiment un être humain extraordinaire. Noir et issu d'un des coins les plus pauvres qui soient, il
y avait peu de chances qu'il devienne l'homme qu'il a été, et c'est vraiment étonnat, composer avec le racisme qui a entouré sa jeunesse, comme pour chaque noir, et d'être l'homme qu'il était.
Il aimait tout le monde. Il pouvait s'asseoir au bar après un concert et discuter avec les poivrots avec toute la patience du monde''.
Le témoignage de Coco Montoya est vraiment très émouvant mais aussi serait un peu long à traduire en
intégralité, je vous retranscris donc cette dernière évocation.
''Quand j'ai quitté la formation d'Albet, je me suis installé à Seattle en pensant que ma carrière allait
décoller. Je suis tombé de haut. Je me souviens d'Albert qui était venu en ville et lu et moi on discutait le bout de gras chez Denny's où on avait nos habitudes ; J'essayais de lu
raconter des bobards ; J'étais un gamin, désorienté, sans un rond et je vivais dans mon van. Il m'a regardé et il a dit ''t'es juste un gars qu'il fait ce qu'il a à faire. Tout le monde
fait des erreurs. Il a envoyé la main à la poche, m'a donné 200 dollars et m'a dit ''utilise cet argent pour rentrer chez toi et te refaire une santé pour reprendre pied.''
Eh les gars je vous ai trouvé un boeuf Albert Collins, alors accrochez vous, çà dépote vegra!
Bref en dehors d'être un bluesman exceptionnel, Monsieur Collins était vraiment un grand homme.
Pour sa discographie bien sûr Ice Pickin' chez Alligator.
J'ai un faible pour le live 92-93 avec les IceBreakers
Le Deluxe edition est une compil sympa pour aborder l'univers du master of Telecaster
enfin Showdown sur Alligator avec Robert Cray et Johnny Copeland qu'il enfume en toute amitié...
Mais pleins d'autres sont super...
Dans le prochain article je vous donnerai plus d'infos sur la reprise des conférences blues à Vitrolles en
février.
D'ici là bonne écoute en compagnie de Monsieur Albert